Située au cœur du marais audomarois, la ville de Saint-Omer abrite une tradition séculaire de construction navale. Les Faiseurs de Bateaux, artisans spécialisés dans la fabrication de barques traditionnelles, ont façonné l’histoire de cette région depuis le XIIe siècle. Aujourd’hui, alors que le monde moderne a profondément transformé le paysage économique et social, ces bâtisseurs perpétuent un savoir-faire unique, inscrit dans le patrimoine vivant de la France. Retour sur l’histoire fascinante des derniers constructeurs de barques traditionnelles audomaroises : les escutes et les bacôves.

Les Origines : Du XIIe au XVIIIe Siècle

L’histoire des Faiseurs de Bateaux de Saint-Omer remonte au XIIe siècle, époque où la corporation des « Faiseurs de nefs » voit le jour. À cette époque, ces artisans conçoivent et construisent des bateaux de commerce, indispensables au transport des marchandises dans cette région marécageuse. Les « scutes », « cogues » et « nefs » sont alors les embarcations emblématiques qui voguent sur les voies navigables du port de Saint-Omer. Ces bateaux, robustes et adaptés aux eaux peu profondes des marais, constituent le pilier de l’économie locale, permettant le transport des biens entre Saint-Omer et d’autres villes du Nord de la France.

Cependant, au cours du XIXe siècle, un changement majeur s’opère. Avec l’avènement de nouvelles technologies et la transformation des modes de transport, la corporation des Faiseurs de nefs délaisse progressivement la construction des grands bateaux commerciaux, tels que les belandres, pour se concentrer sur la fabrication d’embarcations plus petites et adaptées à la navigation dans les marais : les escutes et les bacôves audomaroises. Ces embarcations deviennent alors les principaux moyens de transport dans le marais, où les routes terrestres sont inexistantes ou impraticables.

1850 – 1950 : L’Âge d’Or des Faiseurs de Bateaux

Le XIXe siècle marque l’apogée des Faiseurs de Bateaux à Saint-Omer. En 1848, l’inauguration de la gare de Saint-Omer et l’arrivée du chemin de fer transforment la région en facilitant l’exportation des produits maraîchers, notamment le chou-fleur, qui devient le produit phare du marais audomarois. À la fin du XIXe siècle, le marais de Saint-Omer accueille environ 400 familles maraîchères, toutes dépendantes des barques traditionnelles pour transporter leurs récoltes.

Cette période est véritablement l’âge d’or pour les chantiers navals locaux. Une demi-douzaine de chantiers navals travaillent à plein régime pour répondre à la demande croissante en escutes et bacôves, utilisées non seulement pour le transport des marchandises, mais aussi pour les déplacements quotidiens des maraîchers. La vitalité de cette activité perdure jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle les Faiseurs de Bateaux jouent un rôle crucial dans la survie économique du marais.

1950 – 2000 : La Crise Maraîchère et la Disparition des Faiseurs de Bateaux

Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, les Faiseurs de Bateaux de Saint-Omer sont confrontés à des défis majeurs. L’introduction de nouvelles techniques agricoles et l’ouverture des marchés à l’international entraînent une diminution significative du nombre de maraîchers dans la région. Dans les années 1950, on ne compte plus que trois ateliers de Faiseurs de Bateaux encore en activité.

La situation se complique encore avec le grand remembrement des années 1970, un vaste projet d’aménagement du territoire visant à désenclaver le marais pour permettre la mécanisation des activités agricoles. Entre 1972 et 1984, ce projet entraîne la construction de chemins d’accès, de ponts et le désenclavement de 500 hectares de terres, rendant les bateaux traditionnels obsolètes. Face à cette modernisation, le recours aux escutes et aux bacôves décline rapidement.

En 1997, Gérard Colin, le dernier Faiseur de Bateaux de Saint-Omer, prend sa retraite, marquant la fin d’une tradition vieille de 800 ans. Le savoir-faire artisanal qui avait survécu à travers les siècles semble voué à disparaître.

2009 – 2012 : La Renaissance d’un Savoir-Faire Ancestral

Contre toute attente, l’histoire des Faiseurs de Bateaux de Saint-Omer connaît un renouveau en 2009. Rémy Colin, petit-neveu de Gérard, décide de relever le défi de redonner vie à cette tradition en voie de disparition. Après avoir achevé ses études en charpenterie navale et reçu l’enseignement de son grand-oncle à travers un compagnonnage, Rémy ouvre son autoentreprise.

Ce retour aux sources marque un tournant décisif. En 2011, il fonde la SARL Colin – Les Faiseurs de Bateaux, donnant ainsi une nouvelle impulsion à l’artisanat traditionnel. Son père, Vincent, rejoint l’entreprise et devient l’apprenti de son propre fils, perpétuant ainsi la transmission du savoir-faire familial.

2013 à Aujourd’hui : Les Faiseurs de Bateaux se Réinventent

Depuis 2013, les Faiseurs de Bateaux de Saint-Omer ne cessent de se réinventer. Leur atelier reçoit le prestigieux label « Entreprise du Patrimoine Vivant », reconnaissant ainsi l’excellence de leur savoir-faire. L’entreprise, qui s’étoffe progressivement avec l’arrivée de nouveaux collaborateurs, diversifie ses activités en proposant non seulement la construction et la restauration de barques traditionnelles, mais aussi la location de barques et de canoës, ainsi que des visites guidées du marais de Saint-Omer et de Clairmarais.

Le savoir-faire des Faiseurs de Bateaux s’exporte au-delà du marais audomarois. Entre 2017 et aujourd’hui, l’entreprise a réalisé de nombreuses embarcations pour des sites prestigieux tels que les douves de Gravelines, le parc d’Isles de Saint-Quentin, les hortillonnages d’Amiens, et même pour le château de Versailles. Ce succès témoigne de la vitalité retrouvée de cet artisanat ancestral.

Aujourd’hui, les Faiseurs de Bateaux, c’est bien plus qu’un simple chantier naval. L’entreprise comprend également une mini-scierie, un bar-restaurant, un musée de plein air et un embarcadère d’où les visiteurs peuvent découvrir le marais au fil de l’eau. Leurs créations, emblèmes du patrimoine fluvial de la région, continuent de naviguer sur les eaux paisibles du marais, perpétuant une tradition séculaire.

En 2024, l’entreprise franchit une nouvelle étape en s’associant à la brasserie de l’abbaye de Clairmarais pour créer la bière « Faiseurs de Bateaux ». Une partie des bénéfices de cette bière sera dédiée au financement de nouvelles escutes et bacôves, contribuant ainsi à la sauvegarde du patrimoine fluvial de Saint-Omer.

L’histoire des Faiseurs de Bateaux de Saint-Omer est un témoignage vivant de la résilience et de l’adaptabilité d’un savoir-faire ancestral. Grâce à l’engagement de la famille Colin et à la reconnaissance du patrimoine qu’ils préservent, cette tradition séculaire continue de prospérer, offrant aux générations futures un lien tangible avec le passé.

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